CHAPITRE 48
Ben et Anna se précipitèrent dans le corridor. On entendait tirer tout autour d’eux. La bandoulière de l’ Uzi frottait contre le canon, produisant un raclement sourd. À tout moment, on pouvait leur tomber dessus : mais les gardes, les sachant bien armés, préféraient se tenir à distance. Aucune sentinelle, même la plus loyale, ne mettrait sa vie en danger inutilement. Anna ne l’ignorait pas.
Les indications données par Max étaient claires et précises.
Ils prirent sur la droite et trouvèrent une cage d’escalier.
Ben ouvrit la porte blindée, Anna balaya le palier d’une rafale de mitraillette : s’il y avait eu quelqu’un, il aurait instinctivement plongé pour se mettre à couvert. Dès qu’ils passèrent la porte, on leur répondit de la même manière assourdissante : un garde posté à l’étage du dessous tirait dans l’étroit espace séparant les marches. Son angle de tir lui interdisait toute précision ; ils risquaient surtout d’être atteints par un ricochet.
« Grimpe vite, murmura Anna à Ben.
– Mais Max a dit que la zone d’embarquement était en bas, protesta Ben à voix basse.
– Fais ce que je dis. Grimpe vite. En faisant un maximum de bruit. »
Il comprit aussitôt et s’exécuta en prenant soin de marteler les marches avec ses chaussures.
Anna s’aplatit contre le mur pour qu’on ne puisse l’apercevoir du palier inférieur. Quelques instants plus tard, le garde se manifesta : il avait entendu Ben monter et se lançait à sa poursuite.
Les secondes qui s’écoulèrent alors ressemblèrent à des heures. Anna imagina le garde bondissant vers sa proie : elle devait former une image mentale à partir des sons engendrés par les déplacements de l’homme. Dès qu’il la verrait, ce ne serait plus qu’une question de rapidité. C’était son seul avantage sur lui. Elle resterait cachée jusqu’à la dernière seconde ; ensuite, elle devrait compter sur ses réflexes.
Elle s’élança et fit feu en visant l’endroit où le garde se trouvait, d’après ses calculs. Au moment précis où elle pressa sur la détente, l’homme apparut enfin, juste dans sa ligne de mire.
Il tenait une mitraillette braquée sur elle. La victoire ou la défaite allaient se jouer à une fraction de seconde. Si elle avait attendu de le voir avant de tirer, elle aurait perdu son avantage.
Mais il n’en fut rien. La tunique de l’homme se déchira, le sang jaillit, sa mitraillette se mit à cracher d’inutiles salves au-dessus de la tête d’Anna puis l’homme s’écroula bruyamment et son corps dévala les marches.
« Anna ? appela Ben.
– Maintenant ! » répondit-elle. Il descendit quatre à quatre, la rejoignit sur la zone d’embarquement, devant une porte d’acier peinte en gris et munie d’un loquet. Il suffisait de la pousser pour l’ouvrir.
Quand ils pénétrèrent sur la piste numéro 7, ils furent accueillis par une bourrasque de vent glacé. Il était là, dans la lumière blafarde. L’hélicoptère se dressait tel un gros animal à la carapace de métal poli. C’était un grand Agusta 109 noir aux formes effilées, flambant neuf. De fabrication italienne, avec des roues à la place des patins.
« Vous êtes vraiment capable de piloter ce truc ? » demanda Anna, après qu’ils eurent grimpé à bord.
Ben, assis dans le cockpit, grogna un acquiescement. En vérité, il ne l’avait fait qu’une seule fois et c’était un hélicoptère d’entraînement, avec un pilote licencié aux doubles commandes. Il connaissait bien les avions, mais cet engin-là était totalement différent, déconcertant. Il passa en revue le cockpit obscur pour repérer les commandes.
Le tableau de bord était tellement complexe que durant quelques instants, tout se brouilla devant ses yeux. L’image du corps recroquevillé de son père vint se placer en suspension dans l’air. Il aperçut un Max Hartman jeune, comme il l’était à l’époque où il avait assisté à l’explosion de haine qui avait ensanglanté son pays. Il le vit désemparé, contraint de passer un pacte avec un régime répugnant afin de sauver des innocents, des familles entières. Le génie de la finance ravalé au rang de simple pion.
Il entrevit l’homme – l’émigré, l’être torturé, le clandestin – dont sa mère était tombée amoureuse. Max Hartman, son père-
Ben s’ébroua. Il fallait qu’il se concentre.
Il fallait qu’il se concentre ou ils mourraient tous les deux. Et tout aurait été accompli en vain.
La piste était ouverte à tous vents. Dehors les coups de feu semblaient se rapprocher.
« Anna, je veux que vous vous teniez prête à vous servir du Uzi au cas où un garde essaierait de nous abattre, dit Ben.
– Ils ne tireront pas, lança Anna sur un ton qui transforma ce souhait en une ferme déclaration. Ils savent que c’est l’hélicoptère de Lenz. »
Une voix s’éleva, venant de l’arrière de l’appareil, une voix distinguée, posée : « Tout à fait. Vous pensiez peut-être que Lenz avait l’intention de voyager seul, Miss Navaro ? »
Il y avait quelqu’un.
« Un ami à vous ? » demanda Ben à Anna sans hausser le ton.
Ils se tournèrent tous les deux et virent le passager accroupi dans le compartiment arrière. Malgré ses cheveux blancs, l’homme semblait vigoureux. Il portait de grosses lunettes à monture translucide couleur chair, un superbe complet-veston Glenn Urquhart, façon King Edward, et une chemise blanche impeccable au col serré par une cravate de soie vert olive.
Il tenait une arme automatique à canon court. C’était la seule note de mauvais goût.
« Alan Bartlett, fit Anna dans un souffle.
– Passez-moi votre arme, Miss Navarro. Mon pistolet est braqué sur vous et le vôtre est à peine en position. Je serais vraiment navré de devoir appuyer sur la détente, vous savez. La décharge ferait sans doute voler le pare-brise en éclats et endommagerait probablement le fuselage. Ce qui serait regrettable puisque nous aurons besoin de ce véhicule comme moyen de transport. »
Lentement, Anna laissa l’Uzi glisser sur le sol et le poussa vers Bartlett qui ne se pencha pas pour le ramasser, semblant se contenter de le voir hors de la portée d’Anna.
« Merci, Miss Navarro, continua Bartlett. Ma dette envers vous ne cesse de croître. Je crains de ne pas vous avoir suffisamment remerciée lorsque vous nous avez menés jusqu’à Gaston Rossignol, et avec quelle rapidité ! Le vieux renard s’apprêtait à nous causer de gros ennuis.
– Salaud, murmura Anna. Vous m’avez odieusement manipulée, espèce d’enfoiré.
– Pardonnez-moi, mais ce n’est ni le lieu ni l’heure pour un rapport en bonne et due forme, Miss Navarro. Pourtant j’avoue que je regrette qu’après nous avoir rendu ce précieux service, vous ayez entrepris de détruire l’excellent travail que vous aviez accompli. Bon, où est le Dr Lenz ? »
Ben répondit à la place d’Anna : « Mort. »
Bartlett marqua un temps d’arrêt puis ses yeux gris inexpressifs clignèrent nerveusement.
« Mort ? » Son étreinte se resserra sur son arme automatique tandis qu’il digérait l’information.
« Espèces d’imbéciles ! » Tout à coup, sa colère éclata. Espèces d’imbéciles, vous avez tout détruit ! Vous avez anéanti une chose dont vous ne comprendrez jamais la beauté, comme de sales gosses vicieux ! De quel droit avez-vous fait cela ? Comment avez-vous pu vous croire autorisés à commettre une telle ignominie ? » Il se tut de nouveau avant de conclure, tremblant de rage.
« Allez en enfer, tous les deux !
– Après vous, Bartlett, lâcha Ben.
– Vous êtes Benjamin Hartman, bien sûr – je suis désolé que nous nous rencontrions dans de telles circonstances. Mais j’en suis le seul responsable. J’aurais dû ordonner qu’on vous tue en même temps que votre frère : cela ne nous aurait pas coûté grand-chose. J’ai dû devenir sentimental en vieillissant. Eh bien, mes tourtereaux, je crains que vous ne m’obligiez à prendre quelques graves décisions. »
Dans le pare-brise du cockpit, Ben voyait se refléter le canon du fusil d’assaut de Bartlett. Il ne le quittait pas des yeux.
« Commençons par le commencement, poursuivit Bartlett, après une pause. Je vais devoir m’en remettre à vos talents de pilote. Il y a une piste d’atterrissage près de Vienne. Vous allez nous y conduire. »
De nouveau, Ben jeta un coup d’œil sur l’arme automatique de Bartlett et souleva le commutateur de la batterie.
Les bougies s’allumèrent en cliquetant, puis le démarreur se mit à gémir de plus en plus fort. Ben constata soulagé que l’appareil était entièrement automatique, ce qui faciliterait la manœuvre.
Au bout de dix secondes l’allumage se produisit et le moteur se mit à vrombir dans un bruit de tonnerre. Les rotors commencèrent à tournoyer.
« Attachez-vous bien », murmura Ben à Anna. Avec sa main gauche, il tira sur la manette du collectif. On entendit les pales ralentir.
Puis il y eut comme un bruit de corne et le moteur décéléra.
« Merde, fit-il.
– Savez-vous ce que vous faites ? demanda Bartlett. Parce que dans le cas contraire, vous ne m’êtes d’aucune utilité. Inutile de mettre les points sur les i.
– Juste un peu rouillé », répondit Ben. Il attrapa les commandes des moteurs, deux manches descendant de la partie supérieure du pare-brise, et les poussa vers l’avant.
Le moteur et les deux rotors, le principal et celui de la queue, se remirent à rugir. L’hélicoptère fit un bond en avant, avant d’effectuer quelques embardées à gauche et à droite.
Ben rabattit brusquement les manettes : l’hélicoptère s’arrêta d’un coup sec. Anna et lui plongèrent en avant, retenus par les ceintures de sécurité ; quant à Bartlett, il fut précipité contre le grillage métallique du cockpit, comme Ben l’avait espéré.
Ben entendit le fusil d’assaut heurter la paroi séparatrice. Au même moment, il défit sa ceinture et passa à l’action.
Bartlett avait été un peu étourdi par le choc ; un filet de sang coulait de sa narine gauche. Aussi vif qu’un léopard, Ben contourna son siège et sauta sur lui, les mains en avant. Il lui plaqua les épaules contre le sol d’acier antidérapant. Bartlett n’opposa aucune résistance.
Le premier impact l’avait-il vraiment assommé ? Était-il mort ?
Mieux valait ne pas se contenter de simples présomptions.
« J’ai des sangles sur moi, dit Anna. Si vous pouvez lui joindre les poignets… »
Quelques instants plus tard, les mains et les jambes de Bartlett étaient menottées. Ceci fait, Anna repoussa son ancien employeur qui roula bruyamment vers le fond de l’appareil comme un vieux tapis.
« Le temps presse, s’exclama Anna. Il faut partir. Les gardes – ils arrivent ! »
Ben poussa les deux manches vers l’avant, puis tourna le collectif vers le haut tout en maintenant le cyclique. Le collectif contrôlait la montée de l’hélicoptère ; le cyclique sa direction latérale. Le nez de l’hélicoptère se déplaça vers la droite, la queue vers la gauche, puis il se mit à rouler, quitta la piste et s’engagea sur la pelouse couverte de neige. Le clair de lune y déversait sa lumière froide.
« Merde ! » hurla Ben en poussant le collectif vers le bas pour réduire la puissance et tenter de stabiliser l’engin.
Lentement, il le remonta, augmentant peu à peu la puissance. L’engin devint plus léger.
Il poussa le manche de trois ou quatre centimètres, sentit le nez baisser puis ajouta encore un peu de puissance avec le collectif.
Ils roulaient.
L’hélicoptère traversa l’étendue neigeuse.
Le collectif était maintenant à demi levé.
Soudain, ayant atteint la vitesse de vingt-cinq nœuds, l’hélico s’élança dans les airs.
Ils prirent de l’altitude.
Ben rabattit le manche pour gagner de la puissance. Le nez se redressa. Ils continuèrent à monter.
Des balles vinrent percuter la cabine.
En bas, plusieurs gardes couraient, leurs fusils mitrailleurs pointés vers l’hélicoptère. Ils criaient.
« Je croyais qu’ils ne tireraient pas sur l’hélicoptère de Lenz.
– Ils ont dû apprendre la mort du bon docteur, dit Anna. Hé, je crois qu’il est temps de leur faire nos adieux, non ? » Elle glissa le canon de son Uzi par la fenêtre latérale et tira une rafale. L’un des gardes s’écroula.
Puis elle recommença, cette fois plus longuement.
Un deuxième garde tomba.
« OK, fit-elle. Je pense que nous sommes tranquilles pour un petit bout de temps. »
Ben ramena le collectif et le nez se redressa.
Plus haut, encore plus haut.
Ils surplombaient le Schloss et l’appareil semblait plus stable. À présent, Ben le manœuvrait comme un avion.
Soudain il y eut un mouvement à l’intérieur de la cabine. Juste au moment où Ben se retournait, une terrible douleur éclata à la base de son cou et au niveau des épaules. Comme s’il venait de se coincer un nerf, mais en pire.
Anna hurla.
Lorsqu’il sentit une haleine moite tout près de son visage, Ben comprit ce qui s’était passé. Bartlett, malgré ses entraves, avait réussi à se jeter sur lui et l’avait attaqué avec la seule arme qui lui restait : ses mâchoires.
Un cri guttural, comme le grognement d’une bête sauvage, s’éleva de la gorge de Bartlett. Il enfonça ses dents encore plus profondément dans la chair meurtrie de Ben.
Ben lâcha le collectif dans l’espoir de se débarrasser de Bartlett, si bien que l’hélicoptère se mit à pencher de côté de manière inquiétante.
Ce n’était pas fini ! Anna savait que si elle faisait feu, elle risquait de toucher Ben. Alors, elle agrippa à pleines mains les cheveux blancs et ternes de Bartlett et tira de toutes ses forces. Si fort qu’elle lui en arracha plusieurs touffes. Des ovales roses de cuir chevelu apparurent.
Malgré cela, Bartlett ne lâchait pas prise.
On aurait dit que toute sa puissance vitale était concentrée dans ses mâchoires. Il enfonçait ses dents dans la chair de Ben en se servant de toute la force musculaire de son corps.
Il n’avait plus rien à perdre. Il était comme un animal blessé. C’était sa dernière chance. S’il mourait, au moins entraînerait-il son ennemi avec lui.
Ben, éperdu de douleur, se mit à cogner sur la tête de Bartlett avec les poings, mais sans effet.
Était-ce possible – être arrivé si loin, avoir survécu à tant de choses, pour être anéanti à mi-chemin de la liberté ?
Bartlett était devenu fou furieux, insensible à la douleur – cet homme élégant à l’ambition démesurée adoptait maintenant la posture la plus élémentaire des vertébrés. Il se comportait comme une hyène dans les plaines du Serengeti, déchiquetant son ennemi à belles dents. Il n’y aurait qu’un seul survivant, c’était la loi de la jungle.
La bouche de Bartlett était collée au cou de Ben et, pendant ce temps son corps frémissait, s’agitait en tous sens – avec ses pieds, il cognait sur Anna pour lui faire perdre l’équilibre et l’obliger à le lâcher. Soudain une rafale d’air froid s’engouffra dans l’hélicoptère. À force de se tortiller comme une anguille, Bartlett avait fini par ouvrir la porte d’Anna, d’un coup de pied frénétique.
Une autre ruade aboutit contre les pédales de palonnier qui contrôlent le rotor de queue. L’hélicoptère se mit à virer sur la gauche, puis à tournoyer. De plus en plus vite. Entraînée par la force centrifuge, Anna commença à glisser vers la porte ouverte. Elle enfonça ses ongles dans le visage de Bartlett. C’était sa seule prise. Ce geste l’écœurait, mais il n’y avait rien d’autre à faire : elle planta ses ongles toujours plus profondément dans la peau de Bartlett, enfonçant l’un de ses doigts dans la cavité orbitale.
« Lâche-le, salopard ! » hurla-t-elle, en griffant sauvagement la chair molle. Puis, enfin, avec un cri effroyable, Bartlett desserra les mâchoires.
Ensuite, tout se passa comme dans un brouillard : Anna et Bartlett furent aspirés par le vide. Ils tombèrent ensemble de l’hélicoptère.
C’est alors qu’elle sentit une poigne de fer se refermer sur son poignet. En un éclair, Ben avait tendu la main. Il la tenait. Pendant qu’il la tirait en arrière, l’hélicoptère continuait à tournoyer, incliné selon un angle de quarante-cinq degrés. Dans un hurlement bestial, Bartlett, incapable de lutter contre la force de gravité, se trouva projeté hors de l’appareil.
Il tomba comme une masse vers le Schloss. Ses beuglements s’éloignèrent peu à peu.
L’hélicoptère allait-il prendre le même chemin ? Contrairement à un avion, un hélicoptère qui dévie de sa position angulaire normale, finit par s’écraser. L’Agusta penchait toujours, horriblement, et il perdait de l’altitude.
Pour retrouver une position plus appropriée, il fallait jouer des mains et des pieds. D’un geste enragé, Ben reprit les commandes du cyclique et du collectif, tandis que ses pieds manœuvraient les pédales, afin de coordonner le rotor de queue et le rotor principal.
« Ben ! hurla Anna au moment où elle parvenait à refermer la porte. Faites quelque chose !
– Bon sang ! rugit-il au-dessus de la plainte des rotors. Je ne sais pas si j’en suis capable ! »
Tout à coup, l’hélicoptère plongea ; l’estomac d’Anna remonta dans sa gorge. Pourtant elle ne put s’empêcher de remarquer que tout en tombant, l’appareil commençait à se redresser.
S’il se redressait à temps – et trouvait le bon angle ascensionnel – ils auraient une chance de s’en sortir.
Ben s’acharnait sur les commandes. Au fond d’eux-mêmes, ils savaient que, dans quelques secondes, la chute deviendrait irréversible : toute mauvaise décision leur serait fatale.
Avant même de le voir, elle sut qu’ils reprenaient de l’altitude. La ligne d’horizon s’était stabilisée, l’hélicoptère avait retrouvé son équilibre.
Pour la première fois depuis longtemps, elle sentit la panique la quitter peu à peu. Adroitement, elle déchira un morceau de son chemisier et pressa le tissu contre la blessure de Ben. On voyait la marque des dents de Bartlett, mais fort heureusement ce genre de plaie saignait très peu. Aucun vaisseau important n’avait été sectionné. Ben avait besoin de soins urgents, mais sa vie n’était pas en danger.
Elle baissa les yeux vers le sol.
« Regardez ! » cria-t-elle. À la verticale de l’appareil, était posée une maquette de château entourée d’une barrière serpentine. Au pied de la montagne, une foule épaisse s’était formée. Elle s’écoulait comme un fleuve vers la plaine.
« C’est eux ! hurla-t-elle.
– On dirait qu’ils sont sortis ! »
Ils entendirent une explosion. Un énorme cratère s’ouvrit soudain dans le sol, près du Schloss.
Une partie de la vieille forteresse s’écroula comme une friandise en sucre filé.
« De la dynamite », dit Ben.
Ils étaient à plus de mille pieds à présent et volaient à la vitesse de 140 nœuds.
« Les imbéciles, ils ont dynamité l’entrée de la grotte. Trop près du bâtiment – regardez ce qu’a produit l’explosion. Seigneur Dieu ! »
Un nuage blanc se forma près du sommet de la montagne et se mit à rouler le long de la pente, comme une épaisse nappe de brouillard.
Un nuage de neige, une grande vague blanche. L’avalanche tellement redoutée dans les Alpes autrichiennes.
C’était une vision d’une étrange beauté.
En dehors des nombreux enfants qui avaient réussi à fuir le Schloss, il n’y eut aucun survivant.
Trente-sept personnes à travers le monde, pour la plupart des hommes et des femmes importants, tous leaders dans leur domaine, découvrirent avec horreur dans la rubrique nécrologique que le philanthrope viennois Jürgen Lenz avait péri dans l’avalanche qui avait englouti le Schloss hérité de son père.
Trente-sept hommes et femmes, tous en parfaite santé.